LA REVUE MOUTARDE

Toujours imprévisible…

 

 

 

N°6

 

 

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Philipe Gourcier, cuisinier-alchimiste

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Sven Nildelberg, philosophe du temps

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Arthur Maiev 

(193?-1966)

Conférence 2

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Notes de lecture : « Le Livre » de Mallarmé de Jaques Scherer

10-04-2.004

 

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Sven Nildelberg, philosophe du temps

 

 

 

 

Je viens de prendre connaissance de l’œuvre d’un philosophe suédois quasi inconnu et dont l’œuvre n’a, que je sache, jamais été traduite en français. Le peu que j’en connais provient d’un site suédois, qui présente aussi une version anglaise, et ne parlant pas suédois, je suis bien incapable d’approfondir mes maigres connaissances. Les courts extraits et résumés que j’ai  pu en lire, sans être une révolution dans l’histoire de la philosophie, sont une curiosité et c’est pourquoi je vous exposer une partie de ce que j’ai pu appréhender de son système. Nildelberg semble avoir fait feu de tout bois et ses théories ne sont pas toujours d’une extrême exactitude mais ont un charme indéniable.

 

Le titre original du livre est traduit en français, L’Usure du temps (The Wearing of time). Ce titre, somme toute assez bénin, joue sur le double sens que l’on peut prêter à cette expression. Partant de cette théorie qui veut que le temps soit une quatrième dimension, qui contrairement aux trois autres ne soit pas spatiale, et soit imperceptible par nos sens, Nildelberg pose cette hypothèse : le temps est un flux qui va et qui affecte toute chose, un peu à la façon du mouvement des planètes. Le temps serait donc une sorte de mouvement qui se situerait sur un plan non spatial.

 

Jusqu’à ce point de son raisonnement, sans être frappées du sceau d’une grande rigueur, les idées de Nildelberg sont somme toute assez répandues. Mais là où il devient plus intéressant, c’est quand il considère que comme la majorité des mouvements, le temps n’est pas perpétuel. Et comme n’importe quel mouvement, tout frottement le fait ralentir. Selon Nildelberg, ce frottement, quelle que soit son origine, fait ralentir la course du temps. C’est donc ainsi qu’il faut interpréter le titre de son ouvrage. Il ne s’agit pas de l’usure que le temps fait subir aux choses, mais de celle que le temps lui-même subit.

 

La barrière entre espace, mouvement et temps est assez floue chez Nildelberg, du moins, on ne peut pas bien la saisir, dans les quelques extraits que j’ai pu lire. Disons, pour résumer, que si le temps évoluait à une certaine vitesse en 1960, mettons la vitesse de la lumière, il a depuis un peu ralenti sa course, comme il n’a jamais cessé de la faire. Le temps, selon Nildelberg tendrait donc vers l’immobilité. Ou, pour le dire, de façon plus triviale, le temps, qui passe vite, passerait de moins en moins vite.

 

Quelles en seraient les conséquences ? Non pas l’ennui, comme on pourrait le croire, non pas un ralentissement de toutes choses, mais au contraire, une accélération, un progressif dépassement du temps par l’espace, un peu comme dans ces films dans lesquels, grâce un don, les héros peuvent immobiliser tout ce qui les entoure et continuer, eux, à se mouvoir au milieu d’un  univers immobilisé, à cette expression près, que tout ce qui est spatial, donc, à peu près tout ce qui nous entoure, serait aussi capable de bouger. Ainsi, l’usure, que les choses subissent en contrepartie du frottement permanant avec le temps cesserait et nos organismes ne subiraient plus le vieillissement. De cette lutte entre l’espace et le temps qui tourne à l’avantage de l’espace naîtrait notre immortalité (de l’immortalité, Nildelberg ne nous dit pas si il la conçoit comme une chose positive ou non).

 

C’est dans les détails que cette philosophie se fait plus divertissante : selon Nildelberg, c’est à la suite de l’usure du temps que se fait l’évolution de l’homme et des créatures. Les dinosaures sont les créatures d’une époque à laquelle le temps allait bien plus vite qu’aujourd’hui. Et c’est pour cela aussi que l’homme grandit de plus en plus, cette croissance étant autorisée par la diminution de l’usure provoquée par le passage du temps, du fait de son frottement avec l’espace.

 

Ainsi, il réconcilie l’idée qui veut que tout aille de plus en plus vite aujourd’hui, aussi bien sur le plan des transports que sur celui des découvertes ou de cette croissance des hommes par exemple, avec celle de Pessoa qui disait « Un monde dans lequel on n’est pas vieux à quarante ans n’est pas un monde qui va vite. » C’est justement par ce que le monde va vite qu’on n’est plus vieux à quarante ans, selon Nildelberg.

Si l’auteur laisse modestement planer un doute sur les chances et les périodes à partir desquelles certains phénomènes se réaliseront, il se livre tout de même à certaines prophéties assez curieuses. Le temps étant, nous l’avons vu, une force qui plaque toute chose au sol, une des composante de la loi de l’attraction, mettant aussi en jeu, bien que sur un niveau différent, une force comparable à la force centrifuge, si la vitesse de passage du temps va en décroissant et que les corps spatiaux subissent moins la loi qui les maintenait en place, cela revient à dire que tout va se retrouver en mouvement. La Terre, pour rester à une petite échelle, va devenir une sorte d’immense parquet fraîchement ciré (« a huge freshly polished wooden floor. »)

 

Si son sort personnel n’a jamais préoccupé Nildelberg, il nourrit en revanche la plus vive inquiétude pour les générations futures. Il exhorte notamment les gouvernements de tous les pays à mettre en place les dispositifs nécessaires à la survie de l’humanité pour pouvoir espérer survivre dans le nouveau cadre de vie de plus en plus instable qui attend l’homme. « Imaginez, écrit-il, ce qui se passera lorsque d’un coup, un océan entier déferlera directement de son emplacement actuel jusqu’au plein cœur des déserts les plus à l’intérieur des terres, balayant tout sur son passage, comme la planche à roulettes d’un enfant qui continuant sa course après une chute entrerait en collision avec une pyramide de verres en cristal. »  ( «Imagine what will happen when, all of a sudden, a whole ocean breaks directly from its present location into the very heart of the most remote deserts, sweeping  aside all that lies in its path, as a skateboard, rushing on after a child had fallen off it, would collide into a pyramid of crystal glasses. ») Problème aussi de surpopulation, l’homme restant en vie infiniment plus longtemps et dont la fécondité s’étendra sur une bien plus longue durée. Problème aussi de tous les satellites humains, dont la vitesse ne saurait rester stable, mais au-delà de tous les corps célestes dont les orbites risquent d’être faussées. Perspective bien effrayante si on la prend au pied de la lettre, mais heureusement pour nous, le problème ne commencera à se poser que vers 3500 selon Nildelberg, ce qui nous permet, avec une certaine nonchalance ou irresponsabilité, selon le parti que l’on prendra, de laisser ce problème aux générations futures et de nous pencher plus en détail sur certains document placés en annexe du livre qui sont plus à même d’égayer le lecteur.

 

On y trouve en effet les applications plus concrètes des conséquences possibles de ce phénomène sur l’évolution que connaîtront certains animaux et végétaux. Un article assez long et détaillé est en particulier consacré à la carotte, et l’on peut suivre ce que sera en gros, le destin de ce légume si familier, de ce vieux compagnon de route de l’humanité. En faisant abstraction de l’évolution des techniques agricoles, qui existera forcément, la carotte devrait gagner énormément en taille, étant d’une structure qui la rend particulièrement sensible à l’usure du temps. Elle devrait être celui des légumes qui connaîtra la plus grande croissance. Elle pourrait ainsi atteindre une taille moyenne de 24 centimètres vers 2500 et passer le mètre vers 4000. Elle devrait, toujours selon les calculs de Nildelberg, dépasser l’homme, qui lui aussi connaîtra parallèlement à celle de la carotte une évolution de sa taille moyenne, vers 12000 après J.C. Savoir que l’on ratera cela a de quoi nous rendre envieux des générations futures, mais songeons aussi que nous n’aurons pas à affronter les sorties inconsidérées de la mer, ni une possible collision avec une autre planète. En attendant ces événements, Sven Nildelberg garde dans un coin de son jardin un carré de terre dans lequel il observe avec une très scientifique rigueur l’évolution de ses plants de carottes, cultivés avec une méthode scrupuleusement fixée, observation qui sera, il l’espère, poursuivie après sa mort par un non moins scrupuleux disciple.

 

 

Emmanuel Héron.