LA REVUE MOUTARDE
Toujours imprévisible.
N°6 |
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10-04-2.004 |
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Philipe Gourcier, cuisinier-alchimiste |
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Le cuisinier Philipe Gourcier avait écrit il y a quelques années de cela un
recueil de recettes à partir d’animaux fantastiques. Son second livre se
présente cette fois comme une sorte de roman de chevalerie, ou pour être plus
précis, de traité d’alchimie narratif comme par exemple Les Noces chimique de
Johann Andrea Valentin.
Le lecteur n’est pas sans savoir que l’alchimie n’était pas simplement une
suite de manipulations chimiques à effectuer, mais supposait aussi tout un
cheminement moral. Selon la conception du monde de ces faiseurs d’or, il
existait une analogie entre le cosmos, le corps humain et la matière, chacune
de ces entités étant à son échelle une représentation de l’ordre divin. Cette
analogie se retrouvait dans les traités d’alchimie, qui présentaient sous forme
de récit, à la fois un parcours spirituel et une série d’opérations à effectuer
qui permettaient d’obtenir la Pierre Philosophale. L’alchimiste transmuait le
plomb en or non seulement sur le plan matériel, mais il changeait, au cours de
ses longues recherches, la matière vile qu’il était, en une matière plus noble.
Le livre de Philipe Gourcier doit être lu dans cette optique, même si il a
beaucoup plus d’amusement que de mystique dans sa démarche. La Demeure du
minotaure raconte, si on le prend au pied de la lettre, les aventures du
chevalier Philipe, qui terrasse le minotaure et parvient à rentrer chez lui
après avoir franchi bien des obstacles et vécu de nombreuses péripéties. De
même que dans les traités d’alchimie, sous les apparences d’un récit, indiquait
une série d’opération à effectuer, de même, l’ouvrage du cuisinier est aussi
lisible comme une recette. En l’occurrence, et l’auteur le dévoile dans la
post-face, il ne s’agit pas d’obtenir la Pierre Philosophale, mais plus
prosaïquement un délicieux bœuf bourguignon. La correspondance entre les
ingrédients ou les manipulations est parfois évidente (le minotaure pour la
viande ; une bougie qui ne doit s’éteindre à aucun prix pour faire comprendre
qu’il faut laisser bouillir à petit feu) parfois plus complexe notamment quand
ils s’agit d’indiquer des durées et que l’auteur a recours, comme c’était
d’ailleurs le cas dans les traités d’alchimie, à la position des étoiles dans
le ciel.
Le décodage de la recette n’est évidemment pas l’intérêt principal du livre,
puisque le moyen de faire du bœuf bourguignon est bien moins caché que celui
d’obtenir la pierre philosophale. N’importe quel lecteur aurait plu vite fait
d’ouvrir un ouvrage de cuisine que de déchiffrer une à une les indications
hermétiques que donne Philipe Gourcier. Le texte de la recette, de l’aveu de
l’auteur, n’a servi que d’argument aux pérégrinations du chevalier. Le but dans
lequel le livre a été composé était de livrer une sorte d’éthique de la
cuisine, si le mot n’est pas trop prétentieux.
Pour rendre plus clair notre propos, nous allons citer en exemples un passage
de ce livre. Il se passe lorsque le chevalier s’apprête à traverser le
labyrinthe qui mène au minotaure. Le chevalier Philipe est couvert d’une sorte
de manteau d’arlequin en peau de bête, don de ses amis à son départ qui lui a
déjà valu a plusieurs reprises les moqueries de personnes rencontrées, mais qui
l’a aussi sorti de mauvais pas. A l’entrée du labyrinthe, il aperçoit une belle
femme, et honteux de son accoutrement, se défait du vêtement offert par ses
amis. La jeune fille lui présente alors l’affrontement avec le minotaure comme
une tache indigne de lui et lui offre à la place de le transporter dans un lieu
où il pourra triompher d’une hydre. Il lui faudra pour cela se coiffer d’un
casque représentant un dragon. Pendant qu’elle lui fournissait des
explications, la dame l’a emmené au sein du labyrinthe. Le chevalier commet un
péché d’orgueil et renonce à se battre contre le minotaure. Mais sitôt le
casque revêtu, il se trouve aveuglé et dans l’impossibilité de l’enlever.
L’interprétation culinaire est simplement de surveiller attentivement (les
plusieurs têtes de l’hydre sont ici un symbole de distraction) la chaleur du
plat dans lequel le bœuf doit être placé, de prendre garde à ce qu’il ne soit
brûlé (le dragon du casque). D’un point de vue moral, il s’agit d’un sorte
péché d’orgueil, du cuisinier qui soudain estime que le bœuf bourguignon est un
plat qui ne met pas suffisamment en œuvre sa virtuosité et qui est tenté par
autre chose (l’hydre étant ici les fruits de mer, plat plus noble, plus raffiné
; les gastronomes savent qu’il s’agit d’un des plats que Philippe Gourcier a le
moins de plaisir à préparer). Et surtout, du cuisinier qui fait passer le
plaisir de ses convives après le sien propre (l’abandon du manteau offert par les
amis au profit d’un casque qui rappelle la toque du chef), qui privilégie la
virtuosité à la convivialité.
On le voit, ces considérations morales n’ont pas la hauteur des Pensées de
Pascal et elles n’essaient d’ailleurs pas de l’avoir. Ceci dit, la légèreté
aussi bien du style que du propos de ce livre le rendent tout à fait amusant.
Gourcier a fait preuve d’une certaine originalité et nous livre tout de même
quelques réflexions sur l’éthique de la cuisine, sujet certes mineur mais qui
n’avait quasiment pas été traité depuis Brillat-Savarin. Il conclue sa post
face en annonçant qu’il a envisagé un instant d’écrire selon le même principe
un recueil de contes sur les sept péchés capitaux, mais qu’il y a finalement
renoncé car il lui aurait semblé grotesque d’écrire sur la colère à partir
d’une recette de Tripes à la mode de Caen. Grand bien lui en prit.
Luc Gabet.