LA REVUE MOUTARDE

La revue qui avance comme un train dans la nuit.

 

 

 

N°4

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Stéphane Deschamps, l’éternel recommencement.

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Darren Turner :

L’écriture par les chiffres

 

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Gerard Bolki : Une mort anoncée

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Arthur Maiev
(193?-1966)

Conférence 1

08-07-2.004

 

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Gerard Bolki : Une mort annoncée

 

 

 

            Un des grands écrivains français du XXè siècle vient de publier son dernier essai aux Editions de l'Eclipse : Fin de vie des grands hommes. Les trente-trois historiettes qui composent cette œuvre font souffler un vent de renouveau dans la littérature mondiale. En effet, l’idée de Gérard Bolki est d’imaginer le dernier jour d’une célébrité avant sa mort. D’aucuns s’offusqueront de ce manque de respect. Le burlesque, s’alliant à cette tragédie qu’est la mort, peut il est vrai devenir indécent, voire choquant pour certaines personnes. Comment ne pas réagir face à la description de l’agonie ultime du curé Ernest ? Cette personnalité, bien aimée des Français, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Bolki nous relate la dérive de cet homme qui s’est évertué tout au long de sa vie à aider les pauvres, et les sans-abri. Le dernier jour du curé Ernest a pour cadre un quai de Seine, sous le Pont Mirabeau. L’homme d’Eglise est affalé sur un carton, au milieu de ses protégés, qui tenteront jusqu’au bout de lui rendre la mort plus supportable. Le curé Ernest meurt de faim, rongé par une sclérose en plaques. Heureusement diront certains, il ne se rappelle de rien… Bolki profite de cette métaphore pour haranguer la France qui oublie littéralement ses laissés-pour-compte.

 

     Le style varie en fonction de la nouvelle, et plus précisément du personnage mis en scène. Zoumzoum Zan, l’autre grand homme préféré des Français, passe son dernier jour de vie à réclamer un ballon de football. Mais atteint de bégaiement, sans doute dû à un usage déficient de la parole, il ne peut formuler aucun son, et meurt dans un silence navrant. Inutile de dire que le style de cette histoire est on ne peut plus dépouillé. Quelle audace et quel irrespect ! Raconter les derniers instants de personnes célèbres encore vivantes relève soit de la folie pure, soit d’un génie en train de naître. Ce qui est certain, selon une source proche, c’est que les Editions Eoliennes ont engagé une armée d’avocats afin de préparer les prochains procès qui devraient être légions. Les  motifs ne manquent pas : atteinte à la vie privée, diffamation, utilisation frauduleuse de l’image, etc. Pourquoi alors prendre autant de risques ? Il semblerait que Gérard Bolki ait voulu, au moyen de la fiction, dresser les travers des grands hommes de notre époque. Se moquer, certes, mais de manière subtile et sans renier le caractère polémique de l’œuvre. Et évidement prendre du plaisir…nocif ? noir ? malsain ? Bolki pose les questions qui dérangent en visitant l’âme humaine. La part sombre, refoulée et décriée sur la place publique. Il n’empêche, plus d’un lira ce livre, car il est jouissif.

 

     Gérard Bolki s’attaque aux personnes aimées et respectées, mais aussi aux monstres tel que le général Antonio Piñeda qui meurt noyé dans sa baignoire après s’être cassé le cocsis en ayant voulu se relever. Bertrand-Hervé Leroy finit ses jours dans un hôpital psychiatrique. Sa folie est analysée à la manière de Foucault. Verdict : schizophrénie dû à un excès de viagra, d’où un infantilisme nombriliste, aggravé par la pathologie de son ex-femme Agnès Dimdalle qui persiste à s’habiller à la mode des années 1940. Horace Loué est quant à lui purement et simplement assassiné par Conrad Pognon. Leur dernier match de double lors de l’Amicale des retraités du tennis français (ARTF) a viré au carnage. Furieux de perdre face au tandem Choti-Bielle, Pognon a été pris d’une rage meurtrière et a smatché la tête du pauvre Horace, qui attendait son tour de jouer au filet. En lisant ces quelques lignes, il ne fait aucun doute que la fiction s’inspire largement de la réalité. Le tout est de déterminer les frontières entre les deux mondes. Par l’analyse de la psychologie des grands hommes de ce siècle, Gérard Bolki fournit une ébauche convaincante du futur. Le lecteur est perdu face à tant de calomnie, et de déraison. Il ne peut cependant ne pas être touché par cette franchise qui se dégage de l’œuvre. Extrapolation ou mise en exergue de défauts irrémédiables, et parfois condamnables ? Un subtil mélange, je vous assure, doté d’un mépris pour les Français qui agace, hérisse mais à le mérité de remettre les points sur les i.

 

     Les femmes ne sont pas non plus épargnées. La plume cinglante de Bolki s’en donne à cœur joie. Il serait à ce propos intéressant de se demander si le côté misogyne de l’auteur n’est qu’un artifice lié à son œuvre, ou si cela est plus profond. De toute façon, relater la double mort de Jacqueline Morue et de Babette Bidot, les deux guenons comme les surnomme Bolki, littéralement ivres mortes lors d’une soirée entre ermites, et atteintes d’un coma éthylique qui entraînera la mort par aspiration buccale de 7 chats boulimiques, ne peut que faire hurler les amis des bêtes. Quelle fin atroce, et possible.

 

     L’un des regrets de Bolki est d’avoir vu le Pape mourir trop tôt. Une magnifique description, aux dires d’un proche de l’auteur, de l’agonie du Pape a dû être supprimé au tout dernier moment. Gérard Bolki a une certaine déontologie de son métier d’écrivain, et il ne voulait pas insulter le récent défunt. Il paraîtrait que Paul-Jacques XVIII était momifié au Musée Grévin en lieu et place de son sosie. L’artisan se serait trompé de modèle. Cette mort papale devait être la clé de voûte de l’ouvrage. Mais un problème de correction de copies a retardé la publication de Fin de vie des grands hommes. Nul doute qu’il se rattrapera avec Jean-Louis VI. On imagine déjà le nouveau Pape enlevé par des nostalgiques de la Stasi et torturé à petit feu, comme pour lui rappeler les flammes de l’enfer…

 

     Gérard Bolki écrit depuis maintenant une quarantaine d’années. Toujours provocateur, parfois à la limite du bon goût, le Calthène voit ses détracteurs augmentaient d’année en année. Beaucoup le haïssent. Faire face à sa mort, annoncée et décrite de manière aussi précise, a en effet de quoi perturber l’individu le plus stoïque. Les fans s’insurgent également du traitement infligé à leur idole. Plusieurs associations se sont créées depuis une dizaine d’années. Le lobbying le plus efficace pour l’instant est celui de la Fédération des amis de Z.Z. (FAZZ), comprenez des inconditionnels de Zoumzoum Zan. Leur exploit, unique jusqu’à présent, a été d’amener Bolki à s’excuser publiquement d’avoir diffamé une telle célébrité. Lors d’une conférence de presse organisée pour la parution de son ouvrage, Bolki a reconnu avoir été désobligeant envers Z.Z., qu’il respectait d’ailleurs énormément. Lui-même a admis que critiquer le seul modèle viable pour la jeunesse de nos jours n’était pas la meilleure idée qu’il avait eue dans sa vie. Les excuses semblaient sincères. Bolki est en effet mordu de football. Ancien joueur de CFA au Bitôt Club, Gérard Bolki reste une gloire pour toute une communauté d’aficionados qui se remémorent encore ses fameux derbys contre le FC Saint Contest dans les années 70. Quoi qu’il en soit, la médiatisation de cet incident va certainement doper les ventes et représente un « sacré bon coup de pub », comme l’assène Gontran de la Pétaudière, l’agent littéraire de Bolki.

 

     Outre son côté provocateur et parfois indigeste, la qualité littéraire de Fin de vie des grands hommes ne fait elle aucun doute. La pertinence du propos pose aussi une question qui pourra se révéler essentielle dans un futur proche. Fiction ou réalité ? Vont-ils mourir ainsi ? Il ne fait aucun doute que les paris iront bon train.

 

 

Tristan Delamotte.