LA REVUE MOUTARDE

 

 

N°12

 

 

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Francis Dietrich,

la vie d'artiste

1ère partie

 

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La confrérie

des Jalembotes

2ème partie

 

Francis Dietrich, la vie d'artiste

 

Première partie

 

De tous les sacrifiés de la société, poètes maudits, artistes damnés, aucun peut-être n’est plus injustement méconnu que Francis Dietrich.

Né à Paris le 6 mars 1931, fils unique d’un père petit-bourgeois et d’une mère grande-prolétaire, ses premières années furent d’une telle banalité qu’il les qualifiera plus tard, dans une envolée lyrique d’une rare audace, de « prison dorée ». Cette situation changea radicalement avec l'arrivée de la guerre, le père de Dietrich ayant été accusé d' « actes de résistance » après avoir arraché une bannière nazie. Sa ligne de défense (« Allez-y pour trouver un rideau de douche avec ce foutu rationnement ») n'ayant pas convaincu la justice d'exception alors à l'oeuvre, sa famille et lui furent placés en détention.


Déporté à Dachau avec ses parents, Francis, alors âgé de 11 ans, fut confronté à ce que la nature humaine peut engendrer de pire. D’après ses biographes, Dietrich ne parvint jamais à comprendre comment une telle horreur avait été rendue possible. Une fois pourtant, alors en captivité, il avait posé la question à un officier SS. Malheureusement, Dietrich parlait très mal l’allemand et ne put saisir la réponse du bourreau, n’ayant compris que les mots « oiseau » (Vogel) et « pain d’épices » (Honigkuchen). La mort de ses parents en déportation traumatisa le jeune Dietrich.


De retour à Paris après la libération, il reprit ses études avec l’espoir d’être reconnu du monde intellectuel. Il se distingua particulièrement dans l’épreuve de géographie du baccalauréat : sa carte des fleuves d’Espagne fut très remarquée dans les milieux universitaires.


Cette même année, il rencontra le grand amour en la personne d’une jeune Russe, Luka Fedor-Mechenski. L’insatiable appétit sexuel de cette jeune femme enivra les sens d’un Dietrich encore adolescent. Il se marièrent à l'age de 19 ans pour ne plus se séparer jusqu’à la mort de Luka, en 1979.


La première décennie de leur union fut une des périodes les plus heureuses de la vie de Dietrich. Luka et lui habitaient une chambre de bonne dans le premier arrondissement de la capitale. Fous amoureux mais sans le sou, ils arrachaient les lattes de leur plancher et les revendaient pour acheter du bois de chauffage. Cette existence frugale ne déplaisait pas à Dietrich, pour qui le goût du confort bourgeois était un signe de déchéance, au même titre que le port du noeud papillon.


En 1956, Francis Dietrich publia à compte d’auteur son premier recueil de poèmes, qui reçut un accueil dithyrambique dans la famille de Luka. Seul son neveu Kazimir, âgé de trois ans, fut plus critique, allant jusqu’à mâchouiller le livre sans même l’avoir parcouru, se contentant de le qualifier d' « oeuvre lénifiante d'un épigone de Rimbaud ».


C’est également à cette époque que Dietrich adhéra au parti communiste. Militant très actif, il finit néanmoins par être congédié après avoir avoué son incapacité à orthographier le nom de Karl Marx.


Peu après son éviction du parti, en 1961, Dietrich apprit que Luka était stérile. « Pas moi. Ca nous laisse une chance », lui aurait-il déclaré. Il faut cependant reconnaître que Francis Dietrich n’a jamais réellement souhaité avoir des enfants : l’idée de la paternité lui plaisait, mais pas celle d’être père.


Frustration de ne pouvoir procréer ? Toujours est-il que la révélation de la stérilité de Luka signa le début d’une période de création intense chez Dietrich. Durant les six ans qui suivirent, il coucha sur le papier trois romans (Menuets malingres, Taches de vérité et Le Serpent sans Bras), deux pièces de théâtre (Variations fixes et La Souffrance est Souterraine), ainsi qu’un essai sur Franz Kafka, Derrière le masque de K, dans lequel il défendait l'idée que La Métamorphose était un texte purement autobiographique. Aucune de ces oeuvres ne sera distribuée à plus de dix exemplaires.


Le 30 avril 1968, Francis Dietrich dînait chez Jean-Paul Sartre. Cette rencontre, qui paraît peu crédible, est pourtant narrée dans un ouvrage digne de confiance : le journal intime de Francis Dietrich, dans lequel il n’a cessé d’écrire quotidiennement qu’à sa mort (d’après Gérard Genette, Dietrich aurait brièvement poursuivi la rédaction de son journal après sa mort, mais rien ne permet de confirmer cette hypothèse). Tout y est décrit en détail : le repas, qui se composait de trompes d’éléphants et de brochettes de radis, et son hôte, Jean-Paul Sartre, « un homme d’une rare beauté, dont l’opulente chevelure blonde et le regard droit et franc ne pouvaient laisser insensibles les adolescentes ». Il est amusant de constater que, le même jour, Dietrich avoua dans son journal avoir consommé du LSD pour la première fois.


Le rôle que joua Dietrich durant les événements de mai reste pour le moins obscur. Fermement opposé à toute forme de violence depuis sa déportation, il proposa la réalisation de pavés en mousse, mais Daniel Cohn-Bendit s’opposa au projet pour des raisons budgétaires.


Résigné, Dietrich ne profita guère de l’émancipation qu’on associe aux années soixante-dix. De moins en moins attiré physiquement par sa femme, qui développait les premiers symptômes de la cirrhose qui allait l’emporter, et jaloux de l’existence libertine de ses anciens camarades trotskistes et communistes, il se rangea au côté des écrivains les plus réactionnaires. En 1976, il eut la joie de voir un de ses textes publié dans le courrier des lecteurs de Chère France, quotidien de droite diffusé dans une bonne moitié de la rue Saint Denis. Dans cette tribune, il renia ses idéaux, écrivant que « mai 68 ne représente rien d’exceptionnel pour moi, d’ailleurs il a fait un temps pourri pour la saison ».

(à suivre)

Ambroise Garel.