LA REVUE MOUTARDE
La revue sur le qui-vive
N°3
09-03-2.004
La triste
mort de Philippe Janvel
Nous
avons récemment appris la disparition du feuilletoniste Philippe Janvel. Sa
mort est particulièrement douloureuse parce qu’il avait consacré toute sa vie à
son œuvre et que malgré tous ses efforts, il la laisse achevée. Il échoue alors
qu’il touchait au but. Enfin, nous, ses lecteurs allions avoir le fin mot de
l’histoire dans son feuilleton à rebondissement, mais voilà qu’au moment d’écrire
le 26ème et dernier épisode, la mort interrompt un suspense qu’il
avait su entretenir quinze ans durant. Chacun des épisodes de son feuilleton
avait pour titre une lettre de l'alphabet. Il avait commencé avec la lettre A
et devait se finir avec la lettre Z. Hélas, nous ne verrons jamais cet épisode Z.
Ce
feuilleton policier dont on peut désormais parler sans craindre de révéler la
chute avait commencé dans des petites revues qui ont toujours interrompu la
publication du feuilleton devant la longueur des délais de publication. Mais il
faut dire que chaque épisode mettait en jeu un complexe jeu de signification
hermétique et que Philippe Janvel s’imposait un important travail de
documentation.
Le
héros du feuilleton, le détective Armand Zavenche, progressait dans un Paris
contemporain mais aux allures fantastiques et connaissait une sorte
d’initiation ésotérique. En quête du Livre
des Lettres à la demande d’un client, qui suite à toute une série
d’intrigue finissait par mourir en léguant sa quête au personnage principal.
Dans l’épisode Y, Armand mettait
enfin la main sur le livre et s’apprêtait à le lire. Ce livre était sensé
donner la signification de toute chose. On se doute qu’il y avait une mise en
abîme entre le récit des évènements et le livre à retrouver et que ce livre qui
donnait la clé des évènements nous aurait aussi donné la clé du récit. Or, sans
celle-ci, décoder le récit très codifié de Philippe Janvel relève d’une quête
plus complexe encore que celle d’Armand Zavenche lui-même. Par exemple, la réapparition
d’un thème dans un chapitre ou dans un autre n’est pas indifférente. Il
faudrait par exemple étudier les raisons qui font que lors d’un séjour en
Egypte du personnage, on retrouve de nombreux flash-back qui constituent un
chapitre à eux tous seuls, comme si il fallait absolument éviter que le mot
Egypte se trouve écrit dans ces épisodes. Etant donné le temps de gestation des
épisodes, on ne peut arguer, comme dans certains feuilletons, une obligation de
fournir des textes à une échéances qui force l’écrivain à écrire un flash-back
pour meubler le temps de trouver la suite de l’intrigue. D’ailleurs, étant
donné le rythme de parution des épisodes, on se demande pourquoi Janvel a
choisi ce format du feuilleton, si ce n’est pour les commodités que ce format
lui offrait, mais dont ses lecteurs paient aujourd’hui le prix fort.
En
effet, avec la disparition du vingt-sixième épisode, c’est comme si le Livre des Lettres brûlait soudainement
entre les mains d’Armand Zavenche, le privant de tout le sens de sa quête. Les
deux quêtes que nous faisions, celle avec lui, au niveau de la diégèse, des
évènements qui nous étaient relatés, celle au-dessus de lui, au niveau du texte
de Philippe Janvel, sont toutes deux interrompues et finissent dans une
impasse. Cela est d’autant plus frustrant que l’on savait que cette fin absurde
n’était pas envisagée par l’auteur.
Que
reste-t-il alors à ses lecteurs ? Une quête dont l’issue est incertaine.
Certes, cela peut par bien des aspects être grisant. Cette œuvre reste ouverte
à de multiples interprétations et nous laisse la possibilité d’en inventer.
Mais on pourrait comparer ce feuilleton aux hiéroglyphes égyptiens : s’il
est fascinant de toute façon, il ne saurait être jugé objectivement sans cette
pierre de Rosette qu’aurait été l’épisode Z
et dont on sait avec certitude que jamais on ne la retrouvera.
Luc Gabet.