LA REVUE MOUTARDE
Le journal littéraire toujours sur la
brèche
LES DECOUVERTES
DE HONORIO BUSTOS DOMECQ :
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FEDERICO
JUAN CARLOS LOOMIS
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Loomis
vu par Bustos Domecq : « Chez Loomis, par contre, le
titre c’est l’œuvre. Le lecteur constate émerveillé la coïncidence rigoureuse
de ces deux éléments. Le texte de Paillasse
consiste uniquement en ces mots : Paillasse. La fable, l’épithète, la
métaphore, les personnages, le suspense, la chute, l’allitération, les
plaidoiries socialisantes, la tour d’ivoire, la littérature engagée, le
réalisme, l’originalité, l’imitation servile des classiques, la syntaxe
elle-même ont été entièrement dépassés. L’œuvre de Loomis, selon les calculs
malicieux d’un critique, moins versé en littérature qu’en arithmétique
comporterait huit mots : Ours,
Paillasse, Béret basque, Crème, Lune, Peut-être. Il se peut, mais derrière ces mots que distilla
l’artiste, que d’expériences, que d’élan, quelle plénitude ! [...] Il n’est pas facile de suivre
un exemple aussi lumineux. Si, ne fût-ce qu’un instant, les dieux
m’accordaient son éloquence et son talent, j’effacerai tout ce que je viens
d’écrire et je me contenterais de formuler ce nom unique et
impérissable : Loomis. » extrait de Catalogue et analyse de Loomis, 1963 |
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Document
inédit de Loomis : Nous avons retrouvé dans les archives
du grand auteur disparu un ouvrage de jeunesse non encore achevé. Sorte
d’instantané du processus créateur, c’est un document qui devrait passionner
quiconque porte un minimum d’intérêt au travail de l’écrivain. Il ne s’agit
pas d’un chef-d’œuvre inachevé, mais plutôt d’une œuvre de jeunesse qui n’a
pas été menée à terme. Une œuvre commencée à la va-vite, datant d’un age où
l’on ne sait pas ce que l’on veut, serait-on tenté de dire si le reste de la
vie de Federico Juan Carlos Loomis n’avait été placée sous le signe de la
plus implacable rigeur, du plus grand sérieux. On sait avec quel souci Loomis se
renseignait avant d’écrire ses œuvres. On sait qu’il a appris le basque avant
d’entamer la rédaction de Béret basque, qu’il a passé un moi et demi avec les
plus démunis pour écrire paillasse. Ici, preuve de cette hésitation, de cette
décontraction pourrait-on dire, les documents avoisinants traitaient de deux
sujets très éloignés l’un de l’autre, comme si il eut été égal au maître de
traiter l’un ou l’autre : parapente et parapluie. Ce livre qui restera
dans l’hésitation s’intitule d’ailleurs provisoirement « parap… » On se prend à rêver devant ce titre
et on ne sait le quel des deux eut été le plus beau de ces livres :
parapluie, qui symbolise l’être aimé qui vous protège contre la mélancolie
(la pluie), parapluie, ce geste qui fait naître comme une fleur, parapluie,
objet poétique moderne par excellence. Ou parapente, et l’attraction
momentanément vaincue, parapente et la menace sous entendue de la chute,
parapente, et la fascination pour le vide. Les nombreux admirateurs en France
découvrent ce document avec nous et comme nous sont partagés entre
l’enthousiasme de la découverte de cet ouvrage qui jette une nouvelle lumière
sur l’œuvre du maître et la déception que cet opus n’ait pu être mené à
terme. |
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CESAR
PALADION
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Paladion
vu par Bustos Domecq : La période de 1911 à 19119 est celle
d’une fécondité presque surhumaine. Apparaissent, coup sur coup : Le Livre étrange, le roman pédagogique
L’Emile, Egmont, Les Thébéennes (tome II), Le Chien des Baskerville, Des
Annepins aux Andes, La Case de
l’Oncle Tom, La Province de Buenos
Aires jusqu’à l’accession de la ville au titre de Capitale de la République,
Fabiola, Les Géorgiques (traduction de Ochoa) et le De divinatione (en latin). [...] Paladion lui octroya son nom et
l’envoya à l’imprimerie sans retrancher ou ajouter une virgule, suivant une
règle à laquelle il fut toujours fidèle. Nous nous trouvons ainsi devant
l’événement littéraire de notre siècle : Les Parcs abandonnés de Paladion. Rien n’est plus éloigné, à coup
sûr, du livre homonyme de Herrera qui ne reproduisait aucune œuvre
antérieure. A partir de ce moment, Paladion entreprend, chose que personne
avant lui n’avait faite, de fouiller les profondeurs de son âme et de publier
les livres qui l’expriment, sans surcharger l’impressionnant corpus bibliographique déjà existant,
ni tomber dans la vanité facile d’écrire soi-même une seule ligne.
Immarcescible modestie de cet homme qui, devant les destins que lui proposent
les bibliothèques orientales et occidentale, renonce à La Divine Comédie et aux Mille
et Une Nuits et s’en tient, bon enfant, aux Thébéennes (tomeII) ! extrait de Hommage à César Paladion, 1961 |
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Document
inédit de Paladion : Dans les tiroirs de César Paladion,
quelques poèmes écrits de la main du regretté poète ont été récemment
découverts. Nous en recopions ici deux, qui, de par leur contraste,
s’éclairent l’un l’autre. Le premier, écrit dans un période de doute, voire
même de crise existentielle est pessimiste au possible. Puisque certains
pédants ne tarderaient pas à faire remarquer qu’un même poème est présent
dans l’anthologie de la poésie persane du professeur Z.Safâ, nous le
signalons dès maintenant, pour leur couper l’herbe sous le pied. Le deuxième
est bien plus optimiste. Il date d’une période euphorique durant laquelle
Paladion avait foi en son destin, et la place qu’il occupe aujourd’hui dans
les lettres argentines prouve qu’il avait raison. Il s’agit d’une célébration
d’un moment parfait de bonheur simple. Pour la petite histoire, ce poème
figure aussi dans les œuvres complètes d’Arthur Rimbaud. Roba’ ï Si venir n’avait dépendu que de moi, je ne serais point venu. Si le départ aussi ne tenait qu’à moi, quand m’en irais-je ? Ne vaudrait-il pas mieux que ce monde croulant ne m’ait vu Ni venir, ni m’attarder, ni partir ? Au cabaret-vert Cinq heures du soir Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi. _Au Cabaret-vert : je
demandais des tartines De beurre et du jambon qui fût à moitié froid. Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table Verte : je contemplai les sujets très naïfs De la tapisserie. –Et ce fut adorable, Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, _Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure !_ Rieuse, m’apporta des tartines de beurre, Du jambon tiède, dans un plat colorié, Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse D’ail, _et m’emplit la chope immense, avec sa mousse Que dorait un rayon de soleil arriéré. |