LA REVUE MOUTARDE
N°11 |
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Soucieuse une
fois de plus d'offrir à ses lecteurs ce qui se fait de mieux, La Revue Moutarde
a réussi un coup de maître en s'attachant les services de Célestin Loynac, limier bien connu dans le milieu littéraire. Le
Sherlock Holmes des lettres, aujourd'hui retraité, a bien voulu rouvrir pour
nous quelques unes des affaires qu'il a résolues, des enquêtes qu'il a menées,
des découvertes qu'il a faites. Certaines, pour d'évidentes raisons de
confidentialité ne peuvent pas être publiées. Nous avons ici le compte-rendu de
sa passionnante plongée dans le milieu des jalembotistes,
enquête commandée par un grand éditeur français dont nous ne pouvons révéler le
nom. Nous le publierons en trois fois. C'est Emmanuel Goudé qui a eu l'honneur
de servir de Docteur Watson à l'enquêteur.
La confrérie des Jalembotes |
Première partie |
Dans cette ruelle du XIVème
arrondissement de Paris, un silence monacal préside à la solennelle
intronisation d’un disciple du verbe. Iscario Montavena. Zélotes de la galbe assonante, Myrmidons de la
dualité métonymique ou, plus humblement, Grognards d’ésotériques Ennéasyllabes, tous se sont donnes rendez-vous ce matin du
18 avril 1982 afin de célébrer le nouvel arrivant. Iscario
prête le Serment des Jalembotes en murmurant un haïku
en hébreu à l’oreille du Grand Rhéteur. L’assemblée se disloque et s’en retourne
dans ses quartiers, tous affichant le tranquille masque du devoir accompli.
Les Grandes dates du Jalembotisme.
1886 :
A 37 ans, Jean Joseph De Mazarin, obscur
plumitif a la solde d’un hebdomadaire politique – La Nouvelle France – rédige
Le Traite du Verbe et de la Sentence, brouillon du Jalembotisme
ou fleurissent les premières idées d’exaction littéraire et de sublimation
phonatoire, grands thèmes qui seront développes plus tard par les héritiers du
mouvement. L’ouvrage parait dans une certaine confidentialité mais remporte
toutefois un succès critique, notamment dans la presse littéraire décadente.
De Mazarin, alors réputé pour ses frasques de
dandy pédéraste, obtient, peu de temps après, une chaire a la Faculté de
Lettres de Bruxelles. La Belgique, alors fertile terreau d’expériences
littéraires de toutes sortes, l’accueille avec chaleur. S’entourant de quelques
excentriques littéraires, il constitue un Cénacle Jalentiste,
de Jalentum l’Ancien, orateur Grec du IIIeme siècle tombé dans l’oubli malgré ‘’des poèmes d’une
infinie richesse sur le jeu des sonorités verbales dans le latin d’alors’’.
Malgré quelques déboires judiciaires sans
magnitudes réelles (1887 : une semaine de geôle pour séquestration d’un terrassier
nubile – avril 1888 : deux mois pour tenues indécentes), De Mazarin produit
quelques travaux complémentaires a ses théories naissantes. Citons le Manifeste
Eclairé et Substantiel du Mot et de sa Diction, et son préambule que tout Jalembotiste se doit de connaître.
L’immanence du mot est d’abord son histoire.
Telle une Hydre, la désuétude couronne son corps d’une puissance nouvelle, la
cuirassant d’une autre armure, d’une autre ride et le développant en un tout
suprêmement organique. A l’image du mucron de feuille ou du tétin du
jouvenceau, les mues des mots sont leurs plus belles parures.
1894 :
De Mazarin surprend un de ses amants aux bras d’une courtisane et sur la
phrase, restée célèbre : "Tu as ravis mon cœur, souffre que je ravisse ton
âme", les déchiquette tous deux a l’aide d’une faux. Il écope d’une
sentence de 10 ans de prison. Il entreprend alors l’écriture de son œuvre
majeure : Héliocentrisme et Grammaire.
L’ouvrage, long de 959 pages et divisé en 50
chapitres théorise la beauté subliminale du mot, le mystère des sonorités ou
même la valeur des néologismes. En une fulgurance moderne et violente, De
Mazarin établit une nouvelle configuration grammaticale en érigeant un système
révolutionnaire de notre perception du mot et de ses multiples sens cachés.
Tour a tour poétique (Chap.18 : Pour une allégorie de l’impératif), pédagogique
(Chap.25 : Mythes et Contraires de la pluralité phonétique) voire Surréaliste
(Chap.47 : Réflexion autour de la vie sexuelle des Syllabes), Héliocentrisme et
Grammaire a, comme l’a souligne avec malice l’écrivain Espagnol Armando De La Véga "condamne au moins trois
générations suivantes de grammairiens a la fadeur et a la transparence."
1904 :
De Mazarin sort de prison ; épuisé par ces longues années d isolement, meurtri par les
multiples refus d’éditeurs, son état empire. On lui diagnostique la
tuberculose. Il choisit alors de vivre les derniers mois de sa vie en Bretagne,
à Ouessant. Il vivote de quelques expédients littéraires peu honorables
(intrigues de feuilletons et histoires polissonnes) et reçoit de jeunes
admirateurs lettrés dans sa masure, heureux de leurs expliquer quelques angles
de sa philosophie.
Iscario Montavena :
"Il est un point concernant la fin de la vie de De
Mazarin que l’on connaît peu, c’est son goût soudain pour les duels et le
pugilat. Loin de la fureur intellectuelle parisienne, De Mazarin se plaisait à
donner conférence dans les salons huppés où se réunissaient les rombières
brestoises. Au delà de quelques anecdotes égrillardes sur la façon qu’il avait
de trousser les valets de bonnes familles, il y a cet épisode cocasse du
Baronnet de Portsmouth, alors en commerce avec le maître des lieux ; le
baronnet, Anglais de naissance, parlait un français châtié mais il commettait
toutefois des erreurs bénignes comme l’emploi d’un pronom masculin devant un
nom féminin. Ne connaissant pas les origines britanniques du Baronnet, De
Mazarin s’émut de ses méprises et y vit un cinglant camouflet à son endroit. Je
vous lis un extrait de la correspondance de la Duchesse de Commet, présente au
moment de l’incident, tout a fait savoureux."
"Jean Joseph s’est emporte ce soir. Il a
vocifère un bon quart d’heure contre ce pauvre Baronnet. Ce dernier lui a
demande s’il voulait reprendre une verre de vin ? Et
il a explose, il a dit qu’il lui enverrait ses témoins a la première heure. Il
trépignait en hurlant ses insanités ; c’est vrai qu’il était a cran toute la
soirée. Demain, deux hommes vont s’entretuer à cause d’une humeur ! Quelle
démesure !"
De Mazarin, aux aurores, transperce la tempe
du malheureux Baronnet d’une botte, attribuée selon ses dires au
"mirifique paladin Jehan Dieu De La Viguerie" (une demie rotation de
la hanche feintant l’esquive mais permettant un lancer du bras plus précis).
Il aura, hélas, moins de bonheur lors d’une
seconde algarade avec un tenancier d’auberge de campagne réputée pour être le
théâtre d’affrontements entre marins Scandinaves sodomites. Il succombe le 27
Mars 1905 des suites de blessures mal traitées.
(Fin de la première partie)
Une enquête de Célestin Loynac.
Mise en mots par Emmanuel Goudé.