LA REVUE MOUTARDE |
La revue qui pianote sur le clavier de vos envies |
N°10
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Jeux vidéo, L'art du XXIe siècle de Nic Kelman |
Les livres consacrés aux jeux vidéos sont rares, d'une rareté d'autant plus étonnante quand on voit la place qu'ils occupent aujourd'hui dans l'imaginaire collectif et à quel point ils font désormais partie de la culture de nombreuses personnes. On peut s'étonner du faible nombre d'ouvrages consacrés à étudier les utilisateurs d'une forme de loisir qui n'était autrefois pratiqué que par une portion facilement définissable de la population (en gros les garçons entre 8 et 16 ans) et qui touche depuis un public étonnamment varié.
Etant donné les préjugés qui frappent ce loisir ( les jeux vidéos rendent épileptiques ou violent...), il fallait s'attendre à ce que les adeptes de cette activité essaient d'en donner une image positive, que ce soit pour montrer qu'ils encouragent le travail, qu'ils représentent un secteur économique important ou plus fréquemment et sans doute avec plus de pertinence, qu'ils ont une dimension artistique. Le livre d'Elmann prétend l'étudier dans cette optique et va même jusqu'à affirmer qu'il s'agit de "l'art du XXIème siècle". Il précise que contrairement à ce que beaucoup affirment, pour lui, les jeux vidéos ne sont pas artistiques qu'en puissance mais aussi dans les faits.
Cette thèse rencontrera forcément plus de détracteurs que de partisans et la façon dont Elmann et l'éditeur du livre la défendent ne joue pas non plus en faveur de cet "onzième art".L'éditeur a voulu faire un succès éditorial en ciblant ce livre sur les adolescent. La couverture en hologramme présente deux héros de deux jeux différents qui s'affichent à tour de rôle en fonction de l'angle que l'on donne à la couverture. Ensuite et surtout, pour l'exemplaire que nous avons lu, il a purement et simplement coupé quelques phrases qui se trouvaient en fin de page. L'épaisseur du livre, que je crois volontairement augmentée, donne l'impression qu'il s'agit d'une somme qui pourrait rivaliser avec n'importe quelle histoire de la peinture ou de la littérature. En fait, le livre ne compte que 300 pages qui contiennent majoritairement des images.
Quant au contenu, il s'agit à chaque fois d'une rapide synthèse de l'évolution d'un des aspects du jeu. Ainsi, on trouve des développements consacrés aux protagonistes, à l'évolution du scénario, au environnements, aux objets etc. Le lecteur un peu familier des jeux vidéos remarquera qu'il n'est ici question presque que du graphisme. C'est un des autres grands reproches que l'on peut faire à ce livre : il analyse les jeux vidéos comme s'il s'agissait d'un autre art ou même d'une partie d'un autre art. Elmann soutient que le média dont les jeux se rapprochent le plus est le dessin animé. Cela est vrai dans la mesure où il s'agit d'animer selon des mouvements définis des personnages dessinés. Mais c'est ignorer d'une part la place accordée à l'écrit qui les rapproche plus de la bande-dessinée et d'autre part l'importance laissée à l'interaction. Si un jeu eut être considéré comme une oeuvre, il s'agira d'une oeuvre ouverte. Son analyse se fait en fonction de critères qui s'appliquaient davantage à des formes d'art beaucoup plus classiques. S'il pressent bien qu'il y a dans le rapport du protagoniste avec son environnement qui est spécifique au jeu vidéo, il aboutit très vite à des généralités. Certes, la conception des décors représente une grande part de travail, certes, il y a quelque chose de volontaire dans le choix de certaines couleurs ou dans l'adoption d'une certaine influence picturale pour tel type de jeu, mais là n'est pas l'essence des jeux-vidéos. C'est un peu finalement comme si on avait voulu prouver la valeur artistique du théâtre en parlant des décors, des costumes et de la lumière. L'essentiel est ailleurs et Elmann est passé à côté. Son analyse à trop se concentrer sur l'aspect extérieur du jeu est finalement tributaire des évolutions technologiques qui ont permis d'améliorer les graphismes. Peut-être aurait-il du essayer d'analyser des jeux relativement anciens, ce qui aurait pu lui éviter des confusions entre technologie et créativité, les jeux dont il traite ne datant que de quelques années voir quelques mois avant la publication du livre.
Pour ma part, je suis tout prêt à reconnaître une valeur artistique à certains jeux vidéos, même si cela cela concerne la minorité d'entre eux. La comparaison entre l'histoire du cinéma et l'histoire des jeux vidéos constitue certainement un des poncifs de ce débat, mais c'est là que je trouve l'exemple dont j'ai besoin. L'approche de Elmann me rappelle un peu celle de ceux qui, voulant faire du cinéma un art, adaptaient dans les années 10 les grands classiques du théâtre avec les meilleurs acteurs, éclairagistes, metteurs en scène en pensant qu'en entassant devant et derrière la caméra la plus grande somme de talents hisseraient le cinéma au rang d'art, ignorant que les films réalisés quelques années auparavant par Méliès ou les frères Lumière, non sans une certaine naïveté parfois, seraient ceux qui retiendraient l'attention. Il y a sans doute plus de poésie dans un personnage mal dessiné, moustachu et portant une salopette qui rentre dans un tuyau et casse des blocs de pierre avec sa tête que dans une la création à mi-chemin entre le western et le film de vampires.
Emmanuel Héron.